jeudi 9 septembre 2010

De la langue magyare

A traîner avec de jeunes gens, on se trouve confronté à la langue du pays. La vraie, argotique et imagée, pas la langue propre et mondaine d'Assimil. Et celle-ci se révèle d'une richesse tout à fait inattendue. Prenons par exemple le film allemand Lola Rennt. Lola doit trouver dans Berlin 100 000 DeutschMark en liquide en 20 min pour aider son copain à rembourser un trafiquant de voiture en colère - note pour ces demoiselles: ne jamais s'impliquer amoureusement avec un mec qui oublie 100 000 DM dans le métro, les conséquences en sont stressantes. Elle passe tout le film à s'exclamer "scheisse!". Dans le sous-titre hongrois, la traduction de cette interjection passe par des envolées lyriques digne des plus belles œuvres de Franz Lizst - hongrois "par le cœur et par l'esprit", soit dit en passant. Et cette monotone grossièreté se voit remplacée par des bordées d'insanités si inventives qu'il m'a semblé comprendre que le film perdrait de son intérêt sans ces sous-titres. Toutes les langues ne sont pas prêtes à assumer une telle richesse de vocabulaire.


Mais le hongrois est fier de sa langue. Il la sait difficile, différente des autres langues européenne, et fait preuve d'un malin plaisir à lui faire emprunter des chemins détournés. Il aime son pays aussi. Tellement qu'il le préférait vraiment quand il était plus grand.

Toutes les marques de l'histoire ne sont pas bien effacées dans les esprits, et la signature du traité de Trianon à Versailles - fin de la première guerre mondiale, le royaume de Hongrie perd plus de 70% de ses territoires d'avant guerre - fait souvent dire que les français ne les aiment pas. Et dans les salles de classe, c'est la Hongrie de 1910 qui est épinglée au mur.

Mais il est injuste d'en vouloir au français et, heureusement, la plupart le savent. Tout d'abord parce que le traité fut décidé par les puissances victorieuses de la guerre que furent notamment l'Angleterre, Les États Unis, l'Italie et la France. Ensuite parce que depuis l'empire hongrois du XII ème siècle, des sabots ont traversés la plaine et du sang a coulé. Le pays a été maintes fois envahi, la population maintes fois décimée. D'abord sous les flèches des mongols, puis sous les lames des Ottomans, puis sous les balles des Autrichiens, et enfin sous les chars des Russes. Des vagues d'occupations dévastatrices qui se sont succédées comme des marées, et que rien d'autre que le cycle des siècles ne semblait perturber. Il en résulte une certaine amertume devant l'histoire, une forme d'injustice de s'être trouvé au confluant des civilisations, entre l'est et l'ouest, entre les chrétiens et les musulmans, sur une terre que tous les despotes du coin ont convoités. Et une fierté de s'être toujours relevé, d'avoir pris des racines chez les uns et les autres et de toujours être là malgré le marteau pilon de l'histoire - et plus récemment malgré celui du communisme.

Un soir que nous nous moquions de certaines langues vraiment inutiles que nous apprenions, je lançais par pure provocation que je n'étais pas en reste puisque j'apprenais le hongrois. Il fallut de l'ingéniosité pour venir à bout des longues secondes de silence qui s'ensuivirent...

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