lundi 4 octobre 2010

De la longueur d'une soirée de noces

Quand je suis arrivé à Kaposvár l'année dernière, c'était au terme de trois jours de marche dans une campagne épaisse de chaleur et bruissante de vie estivale. La poussière du chemin s'était collée à moi comme si la terre elle-même avait voulu retenir mes pas et j'étais plus proche de Robinson Crusoé que de Phileas Fogg. Les parents de Zsolt m'hébergeaient ce soir là. A peine les salutations terminées, ils m'ont jeté sous la douche.


Quand je suis arrivé à Kaposvár cette année, c'était au bout de 200 km à moto sous une pluie battante. J'ai traversé quelques averses furieuses, navigué sur des voies de circulation devenue fluviales. J'ai surfé sur les déferlantes que provoquaient les camions en se jetant à 100km/h dans les marécages de l'autoroute. Eaux du ciel, eaux du sol. La pluie était partout, à l'extérieur de mes vêtements imperméables comme à l'intérieur et pendant ces quelques heures de route, j'ai voulu troquer ma vieille bécane contre un jet-ski flambant neuf. A mon arrivé, la mère de Zsolt m'a jeté sous la douche. Ça devient une habitude.



Les soirées de mariage ne sont pas toujours drôles. Ce soir là, en arrivant dans la grande salle louée pour l'occasion, chacun s'est installé où il l'entendait. Sauf les mariés et leurs parents qui occupaient une table à part, au fond de la pièce, perpendiculaire au trois longues tables des invités. Ces derniers se sont donc assis par accointance, groupes d'amis plutôt à gauche et famille plutôt à droite. Au milieu, ceux qui ne savaient ni où s'asseoir, ni avec qui discuter. J'étais de ceux là.

Autour de moi, les quelques couples discutaient entre eux, probablement des tâches ménagères du lendemain. Les enfants ont vites disparus pour jouer avec les ballons de baudruche accrochés au porte-manteau et les distractions se sont montrées trop rares pour en négliger aucune. C'est dans ces moments que l'on saisi tout l'intérêt comique d'une salière capricieuse. Elle est passée de main en main, chacun des mes voisins de table l'a essayé; ils ont tous versé d'un coup une demi cuillère à soupe de sel dans leur soupe. J'ai beaucoup souri et je me suis passé de sel.

A la table d'honneur, l'ambiance n'était pas à la liesse. Eux aussi se trouvaient entre personnes qui se voient bien trop souvent pour n'avoir d'autre discussion que le quotidien. De temps en temps, un convive se tournait vers eux avec un sourire et un flash crépitait. La table d'honneur n'est qu'un présentoir. On y installe les mariés comme on pose un bibelot sur une étagère. Derrière moi, de la table occupée par de la famille et des collègues de travail, partait parfois un grand cri. Puis un vieil homme levait son verre vers les mariés, se levait lui même avec un grand sourire, se rasseyait et retournait à sa discussion.

Vers 20h30 - mon dieu, je n'en n'était encore qu'au début -, les musiciens ont imposés leur tonitruante présence. Au menu: synthétiseur, boite à rythme, trompette ou saxophone, et chanson énamourée. Ils ont écrasé le brouhaha de ceux qui avait de quoi parler. Ça tombait bien, j'en avais assez de ne pas comprendre les discussions de mes voisins.


Les plats se sont succédés, remplissant les ventres pour remplir les heures. Des crèpes, de la soupe, de la viande, des choux, des gâteaux, des gâteaux et encore des gâteaux. J'ai abandonné la bataille bien avant l'invasion de desserts. Les hongrois les aiment crémeux, pas moi. Heureusement, la palinka était bonne. Faite maison, et à disposition.


J'ai enfin commencé à apprécier la soirée quand j'ai déniché trois cavalières sachant danser. Ou, à défaut, suivre. J'en ai profité pour changer de table, rejoindre un groupe d'amis et répéter mes réponses aux mêmes questions que l'on me pose depuis que je suis ici. Discussions relativement balisées, mais non dénuées de pièges. Il arrivait qu'un petit malin trouve une question à laquelle aucun autre n'avait pensé, un aspect de ma vie auquel les autres n'avaient pas osés s'intéresser. C'était là tout le piquant de l'affaire, se sortir de là sans quitter la langue hongroise. Slalomer entre les mots inconnus sans renverser une porte. Puis il fallait répliquer, trouver une question adaptée, comprendre la réponse. Ce fut le combat de toute une soirée.

Le plus âpres de ces duels est arrivé tard. L'orchestre donnait le meilleur de lui-même, piétinant les pensées avant d'écraser les paroles, et les invités se laissaient aller à dodeliner de la tête, les uns à cause de la fatigue, les autres à cause de l'alcool. Je m'étais levé pour me remplir un petit verre de Baileys. Je m'employait consciencieusement à le vider quand un vieil homme s'est approché. Je le connaissait bien celui là. Il m'avait pris d'affection depuis le début d'après midi et il n'était pas passé d'heure sans qu'il soit venu me reparler de la méprise qu'il avait faite en début de journée. Il s'était adressé à moi en me prenant pour un autre, et cela suffisait à le faire rire depuis. Il m'avait aussi invité à venir chez lui pour je cuisine les escargots qui s'infiltraient dans sa maison. Être français à l'étranger c'est souvent devoir affronter les clichés des gastéropodes et des pattes de grenouilles. Cette fois là, il s'était simplement levé pour que l'on trinque. Le fond de bouteille de Baileys ne remplissant pas son verre, il le compléta avec de la palika en un mélange douteux. Nous trinquâmes et il le vida d'un trait. Puis il se mit à parler. A travers le rideau de basses de l'orchestre, je cru comprendre que la soirée lui plaisait et qu'il m'invitait à nouveau à venir chez lui le lendemain. Puis il s'est mis à parler de sa femme qui dansait par là, et un joyeux alcoolique nous a rejoint. J'en ai profité pour m'éclipser.


N'allez pas croire que la soirée était noyée d'alcool, ce sont de fâcheuses coïncidences. Il y avait bien plus de crème et de nourriture que de tout autre chose. Et si la musique semblait décidée à réduire à néant les espoirs d'un danseur, elle comblait le reste de l'assemblée qui trottinait joyeusement à petit pas, deux par deux ou en cercles, quasiment en rythme.



Rentré pas si tard que ça, mais suffisamment pour dormir sans réfléchir. Réveillé par des bruits de couverts et aussitôt convié à un petit-déjeuner de chou et de boulettes de viande. Au matin d'une soirée arrosée, il y a des coutumes contre lesquelles on pourrait vraiment se mettre en colère.

J'ai quitté Kaposvár tôt dans l'après midi en expliquant à mes hôtes que je ne voulais pas rouler sous la pluie. Ils m'ont repris. En Hongrie, on ne roule pas sous la pluie, mais dans la pluie. C'est bien ce qui m'avait semblé à l'aller.

3 commentaires:

  1. Sajnálom, hogy nem érezted jól magadat!!!!! :(

    Ancsa

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  2. Ja igen, és aki meghívott haza, az én apukám volt..

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  3. La version écrite est aussi savoureuse que la version orale...

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