- Je m'en vais.
- Où tu vas?
- à la maison.
Aux-revoirs simples. Pas d'épanchement lyriques en Mongolie, les adieux sont
toujours sobres et souriants. D'ailleurs "bayartè"* ne veut-il pas aussi dire
"avec joie" en Mongol?
J'ai remonté une de ces larges rues de terre inégales où quatre camions
pourraient passer de front. Bordées de palissades et de maisons de bois
décrépies, caillouteuses et poussiéreuses, elles donnent à Kharkhorin un air de
décor de western. Au bout, à deux pas du marché, se retrouvent: le bus qui va à
Oulan Bator, les microbus qui vont lui faire la course sur la grande route, et
tous ceux qui ont à faire avec ces véhicules ou leurs passagers.
Ils sont une quinzaine à regarder partir le bus. Des paysans solides aux bottes
crevées et au dèl usé. Des mères de famille citadines en jean et pull over. Un
jeune homme radieux sur sa moto, lumineux dans son dèl beige, le visage comme
un soleil. Des grands mères frippées, dèl impeccable et coloré, un
fichu flamboyant sur la tête. Ils attendent nonchalamment le départ, ils
discutent entre eux. On pourrait les croire complètement insensibles, mais à
travers la fente de leur yeux, ils ont ces regards brillants d'amitié et
d'au-revoir que, chez nous, on trouve sur le quai des gares.
Dans le bus, des cow-boys au visage tanné, durs comme des rondins de bois,
l'air rude et le regard perçant. Des jeunes gens détendus qui surveillent leur
téléphone portable et s'endorment. Quelques mamans avec leurs enfants. Et des
éleveurs qui partent à Oulan Bator pour le grand Naadam. Ils emportent avec eux des
bidons d'Aïrag qui encombrent l'allée, là où, d'ordinaire, les retardataires
s'installent sur des petits tabourets de plastique.
A côté de moi, un homme épais, au visage rieur, un enfant sur les genoux. Il
m'explique qu'il est directeur d'une des écoles de Kharkhorin, qu'il prend
l'avion le lendemain pour Moscou, et que le petit garçon est un de ses élèves. Il
accompagne l'enfant jusqu'à la capitale où il va le remettre à son père.
Le bus file sur la chaussée éventrée. Quelques enfants se promènent de siège en
siège et vont se tenir debout à côté du chauffeur pour mieux voir la route. Et
comme tout le monde, ils s'accrochent. Car, régulièrement, le chauffeur fait
des écarts brusques et inattendus. Pour éviter un trou plus gros que les
autres, ou pour contourner une section d'asphalte vraiment défoncée en
descendant sur le bas-côté. Parfois il freine d'un coup pour laisser à un
troupeau le temps de s'écarter. Ce n'est pas qu'il a été surpris. La route est
droite, la steppe est plate, ça fait près d'un kilomètre qu'on distingue
nettement les moutons qui se chauffent les sabots sur le bitume. Mais les
freins de véhicule permettent de décélérer en 50m et les animaux ne se
pousseront qu'au dernier moment. Il serait bien sot de dilapider
prématurément la vitesse accumulée au cours des derniers kilomètres. Alors les
enfants s'accrochent, on s'écrase le nez sur le siège de devant, des jus de
fruits se renversent et quelques estomacs se retournent.
Il faut parfois avoir le cœur un peu accroché pendant ces trajets. Sur les
genoux du directeur, mon petit voisin ne l'avait pas assez. On n'était pas
parti depuis dix minutes qu'il s'est mis à vider méthodiquement son estomac
dans un sac en plastique. A travers les hauts parleurs, le chauffeur a inondé
le bus de chansons mongoles. Je me suis félicité de mon odorat déficient, je
me suis absorbé dans les paysages, et j'ai écouté la musique qui me
raccompagnait doucement vers Oulan Bator et la France.
* Au-revoir en Mongol
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