samedi 2 juin 2012

Je me voyais cavaler comme le vent, je n'ai pas été déçu. Il y eu nombres de cavalcades. Des isolées, des groupées, des effrénées. Des faces à faces au triple galop où nos montures s'arrachaient les poumons pour le plaisir de se mesurer à la course. Et il nous fallait alors toute notre force et notre persévérance pour arrêter les chevaux lancés comme des balles de fusils.

Le vent, lui, ne s'arrête jamais. On appelle les mongols les fils du vent et on a bien raison. Quand il souffle vraiment, il souffle comme un forcené, assèchant les lèvres, coupant les paroles, agacant les chevaux et rabotant les nerfs. Il emporte avec lui des nuages de sable et de terre qui mélangent les paysages comme une goutte d'eau sur une aquarelle.
Mais quand il est doux, enveloppant, les lieux se déchargent d'une part de leur rudesse et laissent éclater leur grandeur. Des plateaux sur lequels on pourrait loger Paris tout entier. Des vallées où les troupeaux sont de ridicules trainées de poussières soufflées sur les versants. Des forêts de pins sans sous-bois où les arbres sortent tout droit des pentes herbeuses. D'autres forêts aux essences variées, qui sont étriquées, touffues, et où les chevaux de bâts accrochent leur chargement entre les troncs serrés. Des ruisseaux légers qui serpentent dans les plaines, traçant des lits pierreux et profonds. Des prairies d'herbe grasse et rase, et d'autres, tout aussi rases mais sèches et veinées de roches volcaniques.
Des paysages où, dès que la ger du matin a disparue derrière un pli de terrain, toute présence humaine se dissipe. Et on se retrouve seul, le regard perdu sur les collines de l'horizon. De ces lieux qui, sous un soleil brûlant, ne demandent qu'une pichnette de l'imagination pour nous cadrer en plein western spaggetti, crevant de soif dans le désert mexicain. Mais l'imagination n'a d'autre but que de nous faire rêver d'endroits où nous ne sommes pas. Alors qu'on est en Mongolie. Et c'est déjà pas mal.

Sur cette terre, la vie n'est jamais loin. Il n'est pas rare que le vert d'une colline herbeuse soit piqueté du noir et blanc d'un troupeau. Moutons et chèvres mélangés. Ou que les boucles d'un ruisseau soient occupées par un horde de chevaux, étalon et jument dominante en sentinelles. Parfois c'est un groupe de vautours gigantesques qui déchirent une carcasse, parfois ce sont des marmottes qui cavalent dans l'herbe et disparaissent d'un coup. Régulièrement, un tas de caillou lointain remue et glisse vers un versant de la vallée. C'est un troupeau de yacks qui s'ébroue et grogne en remontant vers des paturages plus verts. Et le paysan, d'un gris à peine moins gris que les rocailles sur lesquelles il était assis, ne révèle sa silhouette qu'au dernier moment, en se levant. Celui là pousse son troupeau autant qu'il le suit.

En général on voit les hommes de loin. D'abord parce que dans ces paysages la vue porte. Ensuite parce qu'ils sont quasiment tous à cheval. Ils cavalent de vallons en vallons debout sur leur étriers. Dignes descendants des hordes sauvages, habités d'une vie furieuse. Leur del coloré et leur large ceinture plus colorée encore sont une pointe de vivacité sur le calme des collines. Ils surveillent leurs troupeaux, les rassemblent, les déplacent, cherchent une bête égarée. Leur ger n'est jamais bien loin. Juste derrière ce col, dans cette vallée à droite, ou juste là, installée au milieu de la plaine, dans une dépression du terrain. Et, pour nous, ce petit cocon de vie humaine est parfois la fin de l'étape.
On descend des chevaux, on débâte, on retire les selles. On entre dans la ger où on est accueillis par du thé mongol - 3 volumes d'eau, 1 volume de lait, du thé, du sel. La boisson est brûlante, servie dans des petits bols. Et on s'ébouillante les lèvres en pensant à la journée qui entame son dernier acte.

Acte social. Les enfants nos accueillent avec une excitation joyeuse. Les adultes nous reçoivent avec un plaisir plus dissimulé, mais avec un plaisir réel. C'est qu'on apprécie toujours plus la compagnie quand on ne vit pas entassés les uns sur les autres. Et dans ce sens, la steppe et les collines leur donnent tout le loisir d'apprécier les visiteurs de passage. Discussions variées, jeu de cartes, parties d'échec. La maîtresse de maison - une robuste paysanne aux mains commes des enclumes - mélange de l'eau et de la farine. Elle malaxe, pétrit, étale. Coupe en fines lamelles. Pâtes faites à la main, viande séchée morcelée au marteau. Des gestes intemporels auxquels on ne souhaite pas le progrès, car ils sont le coeur d'un peuple et assurent la solidité de nos journées.


Pas lavé depuis quinze jours, tout juste débarbouillé à l'eau. J'ai bien plongé dans une rivière glacée mais on dit ici que le savon souille l'eau et la rend imbuvable aux troupeaux. J'ai respecté la pureté de l'eau, conservé ma crasse, et je ne m'en trouve pas plus mal.

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